En exclusivité: images, faits et messages du Président de la CDHC, Pr. James Mouangue Kobila en chine

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CDHC: L’intérêt général et la gouvernance mondiale des Droits de l’homme

Du 14 au 15 juin 2023, James Mouangue Kobila, Professeur agrégé de Droit Public, Président de la Commission des Droits de l’Homme du Cameroun (CDHC) s’est exprimé au Forum de Chine. En exclusivité ses faits, gestes et messages ici.

            Excellences,

Mesdames, Messieurs,

Je suis présenté comme le président de la Commission des Droits de l’homme du Cameroun ; mais constatant la présence de nombreux universitaires et chercheurs spécialisés dans la salle, je voudrais souligner que je m’exprime également en qualité d’universitaire, rattaché à l’Université de Douala.

Quelques jours après la célébration du Centenaire de l’Académie de Droit international de La Haye du 24 au 26 mai 2023 sur le thème des Défis du Droit international, avec une table ronde d’ouverture consacrée à « L’intérêt public et le Droit international », il me semble intéressant de s’attarder sur « L’intérêt général et la gouvernance mondiale des Droits de l’homme » dans le cadre du présent Forum.

Le champ des Droits de l’homme constitue indubitablement l’un des domaines les moins consensuels  de la gouvernance mondiale. Pourtant, le Pacte international relatif aux Droits économiques, sociaux et culturels offre un solide fondement à la coopération en matière de Droits de l’homme qui prévoit, en son article 2 alinéa 1, que « [c]hacun des États parties au présent Pacte s’engage à agir, tant par son effort propre que par l’assistance et la coopération internationales […] en vue d’assurer progressivement le plein exercice des Droits reconnus ». À la veille de la célébration de la journée de l’enfant africain le 16 juin, l’on rappellera aussi que le préambule de la Convention des Nations Unies relative aux Droits de l’enfant souligne « [l]’importance de la coopération internationale pour l’amélioration des conditions de vie des enfants dans tous les pays, en particulier dans les pays en développement ». 

Plus récemment, le haut-commissaire des Nations Unies aux Droits de l’homme a publié, le 18 avril 2023, son Rapport sur la mise en œuvre et le renforcement de la coopération internationale dans le domaine des Droits de l’homme, en vue de sa présentation à la 53e Session du Conseil des Droits de l’homme qui se tiendra du 19 juin au 14 juillet 2023. 

L’on n’ouvrira pas la discussion sur la définition des Droits de l’homme ici, car il est évident que si les Droits de l’homme sont universels, le contenu de ce terme ne l’est pas. Ce qui est considéré comme Droit de l’homme en Afrique et dans une partie de l’Asie, est parfois rejeté ailleurs ; ce qui est panthéonisé comme Droits de l’homme en Europe ou, plus largement, en Occident, est parfois tout aussi vigoureusement rejeté ailleurs.  Nous nous en tenons donc aux Droits de l’homme universellement reconnus qui constituent le jus commune en la matière. Mais même avec ceux-là, les critères de l’évaluation de leur respect varient substantiellement selon les contextes.

Dans cette perspective, plusieurs auteurs abordent la question de la Gouvernance mondiale des Droits de l’homme à côté d’autres sujets à travers des prismes déformant résultant de biais spécifiques. Souvent, ces auteurs se contentent de donner une coloration scientifique à des postures idéologiques. Ce qui est présenté comme l’intérêt général n’est, bien souvent, que l’intérêt d’une catégorie d’Etats ou d’un camp idéologique

Le sujet qui nous préoccupe soulève une kyrielle de questions. La coopération internationale peut-elle conduire à une meilleure gouvernance des Droits de l’homme ? À quelles conditions ? Pour quels résultats ? La coopération internationale en matière de Droits de l’homme nécessite-t-elle en fin de compte une gouvernance mondiale fondée sur un ordre public de direction ? Dans l’affirmative, quels acteurs ont la légitimité requise pour jouer ce rôle, s’ils s’en trouvent ? 

Sans prétendre répondre de manière détaillée à toutes ces questions, l’on trouvera des linéaments de réponses en examinant successivement les trois tendances lourdes de la gouvernance actuelle des Droits de l’homme, y compris au sein de l’organisation des Nations Unies : la priorisation des Droits et l’occultation corrélative des devoirs (I), la prise en compte limitée du Droit à la paix, alors qu’elle devrait se traduire par la prévention active des conflits (II) et les nombreux biais qui affectent la coopération transnationale en matière de Droits de l’homme, en l’occurrence les relations entre les acteurs non étatiques et les Etats dans ce domaine (III).

  • La priorisation des Droits et l’occultation corrélative des devoirs 

Le peuple camerounais, à travers le Préambule de la Constitution du 18 janvier 1996, affirme « son attachement aux libertés fondamentales inscrites dans la Déclaration universelle des Droits de l’homme, la Charte des Nations-Unies, la Charte africaine des Droits de l’homme et des peuples et toutes les conventions internationales y relatives et dûment ratifiées ». 

La Constitution du Cameroun, les textes internes pris dans le cadre de sa mise en œuvre ainsi que les instruments juridiques africains et universels ratifiés par l’État du Cameroun garantissent ainsi à toute personne relevant de sa juridiction le libre exercice des Droits « dans le respect des droits d’autrui et de l’intérêt supérieur de l’Etat ». 

L’on a trop souvent tendance à oublier ce segment du préambule de cette Constitution qui rappelle pourtant l’article 27 (2) de la Charte africaine des Droits de l’homme et des peuples, ainsi conçu : « [l]es droits et les libertés de chaque personne s’exercent dans le respect du droit d’autrui, de la sécurité collective, de la morale et de l’intérêt commun. » 

En faisant fi de ces énoncés, nous négligeons la mise en garde de Gustave le Bon, médecin, anthropologue, psychologue social et sociologue français – spécialiste, entre autres du désordre comportemental et de la psychologie des foules – qui a observé que « [l]e plus sûr moyen de détruire le principe d’autorité est de parler à chacun de ses Droits et jamais de ses devoirs ».

Dans le contexte de surenchère où certains Droits de l’homme sont présentés – à tort – comme des dogmes absolus et où les libertés frisent l’anarchisme dans les réseaux sociaux et en dehors de ceux-ci, contexte aussi où l’on a tendance à oublier que la liberté est le droit de faire tout ce qui est licite, il n’est pas inutile de rappeler un vieil adage latin, largement méconnu : ubi jus, ibi onus. Et je traduis : là où il y a un droit, là aussi il y a une obligation.

Afin d’illustrer cet adage juridique, je vous renvoie à l’un des tirets du préambule de la Constitution du Cameroun précité, ainsi qu’aux articles 27 à 29 de la Charte africaine des Droits de l’homme et des peuples. Il s’en déduit que le non-respect des mécanismes internationaux « de la sécurité collective, de la morale et de l’intérêt commun » est source de conflits.


  • La prise en compte limitée du Droit à la paix   qui devrait se traduire par la prévention active des conflits

Le droit humain à la paix qui est le droit inaliénable à la vie, à la dignité et au vivre-ensemble en paix de toutes personnes, groupes et peuples est frontalement bafoué par les entrepreneurs de guerre et les terroristes qui tuent, décapitent, amputent, éviscèrent, torturent, détruisent de manière dévastatrice à travers le monde depuis des temps immémoriaux, portant atteinte à l’ensemble des Droits.

En pastichant la Déclaration de l’Organisation des Nations Unies sur les Droits des peuples à la paix, approuvée par l’Assemblée générale dans une résolution du 12 novembre 1984, l’on peut affirmer, sans risque d’être démenti, que « l’absence de guerre est, au niveau [national comme aux niveaux régional et universel], une condition primordiale du bien-être, de la prospérité matérielle et du progrès des Etats, ainsi que de la réalisation complète des Droits et des libertés fondamentales de l’homme », proclamés par tous les instruments internationaux et régionaux des Droits de l’homme, qu’ils soient contraignants ou pas.

Au plan régional africain, la Charte africaine des Droits de l’homme et des peuples (ChADHP) adoptée en 1981 et entrée en vigueur le 28 octobre 1986, fait référence au droit à la paix dans une perspective collective. Ainsi, l’article 23, alinéa 1er de la ChADHP énonce que « les peuples ont droit à la paix et à la sécurité tant sur le plan national que sur le plan international ». Cette consécration du Droit à la paix appelle à l’adoption de mesures, tant au plan national qu’au plan international, d’une part, pour prévenir les conflits et, d’autre part, pour préserver, maintenir et consolider la paix.

La paix est en effet l’une des expressions de l’âme et de la culture africaine. La luxuriance de nos paysages, la musicalité de nos rivières et forêts, nos émotions esthétiques autant que nos mécanismes propres de règlement des différends invitent constamment à la convivialité et à l’élévation vers l’harmonie universelle.

Dans le même sillage, en 2001, la Commission des Droits de l’homme des Nations Unies, devenue Conseil des Droits de l’homme, a adopté une résolution spécifique sur le « droit des peuples à la paix ».

C’est d’ailleurs dans cette perspective que l’ancien Secrétaire général des Nations Unies, l’Egyptien Boutros Boutros-Ghali, avait proposé, en 1992, son célèbre Agenda pour la paix qui reposait sur la solidarité internationale en trois axes.

Malheureusement, cet Agenda n’aura pas obtenu un écho favorable auprès de certaines grandes puissances, membres permanents du Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations Unies. En conséquence, sur le continent africain comme ailleurs dans le monde, les peuples continuent de payer le lourd tribut des guerres venues d’ailleurs sur fond d’exacerbation des différences culturelles (ethniques, linguistiques, religieuses, etc.) pourtant inhérentes à toute société humaine et de nombreux biais qui compromettent l’intérêt général de la société internationale.

  • Les biais qui affectent la coopération transnationale en matière de Droits de l’homme 

L’on commencera par s’intéresser au cas des organisations non gouvernementales (ONG) avant de s’attarder sur celui des organisations de la société civile (OSC).

Pr. James Mouangue Kobila en Chine en juin 2023

 

  • Le cas des ONG

Les organisations non gouvernementales (ONG) qui sont ordinairement des associations nationales qui déploient leurs activités dans plusieurs pays ou des associations dont les membres sont issus de plusieurs pays, ne sont pas très différentes des organisations de la société civile nationales. Hubert Védrine l’ancien ministre français des Affaires étrangères classe les quelque trente mille ONG qu’il a recensées de par le monde en plusieurs catégories, dans son livre intitulé Les cartes de la France à l’heure de la mondialisation. Il écrit qu’« on y rencontre tout, le meilleur et le reste : la générosité, le dévouement, les réseaux, le militantisme, les intérêts, les lobbies, les croyances et bien des pouvoirs réels déguisés » (p. 20) ; de sorte que, sans discernement dans ce paysage , on prendra très souvent des vessies pour des lanternes, d’autant que les « hiérarchies de puissances » et les « rapports de force mondiaux » s’y retrouvent : « [c]e sont donc, [explique-t-il,] les sociétés civiles et les ONG issues des pays riches, ultra-médiatisées, disposant de moyens pour communiquer, et donc du pouvoir d’imposer leur lecture d’un événement, qui exerceront le maximum d’influence dans le monde : l’américaine, pas celle du Niger, de la Bolivie ou du Bangladesh ! Ce ne sont pas les ONG du Nigeria qui interviendront en Irlande du Nord ou manifesteront à Seattle ! » (ibid.).

Quoiqu’il, en soit, les ONG sont souvent les vecteurs de biais spécifiques qui faussent la compréhension et parfois sabotent durablement la noble cause des Droits de l’homme partout dans le monde.

  1. L’idée saugrenue que l’État serait le seul détenteur des obligations en matière de Droits de l’homme, puisque c’est lui seul qui signe les traités ; ce qui signifie que le coupable désigné et l’unique responsable du non-respect des Droits de l’homme dans un pays est l’Etat ; on oublie ainsi la dimension horizontale des Droits de l’homme. 

 

  1. L’idée erronée que les prononcés des mécanismes non juridictionnels régionaux et universels des Droits de l’homme sont néanmoins obligatoires.

 

  1. L’idée erronée que les normes relatives aux Droits de l’homme sont des dogmes absolus qui s’appliquent de manière uniforme dans tous les pays et n’admettent aucune dérogation ni exception ou que l’État doit les appliquer sous peine d’être traité d’État voyou, au mépris de la « marge nationale d’appréciation des autorités nationales », consacrée par la jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l’homme et en totale méconnaissance du fait que même la conception occidentale des Droits de l’homme n’est pas uniforme et qu’ainsi, en matière de respect de la vie privée, aux États-Unis la liberté prime sur la dignité, tandis qu’en Europe, c’est l’inverse.

 

  1. Le non-respect de la proportionnalité : statistiquement, les acteurs non étatiques sont auteurs de la majorité des atteintes aux Droits de l’homme. Pourtant, la majeure partie et la majorité des rapports des ONG internationales les plus connues sont consacrés aux allégations de non-respect de Droits de l’homme imputées aux États.

 

  • Le cas spécifique des OSC

Les organisations de la société civile (OSC) militent pour les Droits de l’homme avec des méthodes qui leur sont propres ; mais leur action est souvent piégée par cinq biais.

  1. Le biais de la recherche des financements qui les conduit soit à exagérer la réalité pour espérer les financements voulus, soit à tenir le langage et à travailler sur les thématiques prioritaires des bailleurs de fonds et non sur celles qu’elles jugent pertinentes ni sur celles du pays où elles déploient leurs activités ; c’est ainsi que certaines OSC, loin, d’agir par conviction ou dans l’intérêt des populations qu’elles prétendent protéger, se font les relais ou se transforment en perroquets qui se contentent de répéter les discours dictés par les bailleurs de fonds.

 

  1. Le biais de la recherche des visas pour leurs membres ou pour leurs proches ou encore pour des tiers contre rémunération, en les présentant comme des personnes persécutées par les États.

 

  1. Le biais de l’incompétence qui les conduit parfois à mener des batailles absurdes.

 

  1. Le biais politique qui amène certaines OSC à trahir l’intégrité du défenseur des Droits de l’homme en adhérant à des plates-formes de partis politiques ou en portant des demandes politiques.

 

  1. Le biais de la manipulation consciente qui consiste souvent à faire passer des actes répression pénale légitimes de l’État pour des actes de persécution d’une catégorie de citoyens.

 

Recommandations

Dès lors qu’il est néanmoins incontestable que les Droits de l’homme sont l’un des principes fondateurs des sociétés modernes, l’on peut formuler les quatre recommandations ci-après.

  1. La généralisation de l’approche basée sur les Droits de l’homme. 
  2. La généralisation de l’éducation aux Droits     de l’homme dans les programmes scolaires comme levier majeur d’une meilleure gouvernance   des Droits de l’homme.

               Comme l’a bien vu Fréderico MAYOR, ancien Directeur général de l’UNESCO, « c’est dans l’esprit des gens que naît la guerre et c’est dans l’esprit des gens qu’il faut cultiver les valeurs de la paix ». Soyons-en les artisans !

  1. La mise en place de mécanismes de financement des projets de Droits de l’homme qui mettent notamment l’accent sur les Droits économiques, sociaux et culturels.
  2. La mise en place d’un cadre interactif pour encourager le partage d’expériences et de bonnes pratiques entre les INDH des pays du Sud.

Linda Mbiapa

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