Alain Njipou: « J’ai été totalement renversé quand le néphrologue m’a annoncé que mes reins étaient foutus »

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Grand reporter, le chroniqueur au quotidien « Le Messager » qui souffre depuis trois ans de l’insuffisance rénale, partage son expérience et appelle les pouvoirs publics à davantage se déployer pour ce qui est de la mise à disposition des machines et des ressources humaines dans les hôpitaux, afin d’assurer le suivi et la prise en charge des malades dont le nombre s’accroît au fil des jours.  

LA SIRÈNE INFOS vous livre cet entretien mené avec Alino de son vivant et publié en 2017 dans La Nouvelle Expression.

Depuis combien de temps vivez-vous avec l’insuffisance rénale ?

C’est depuis 2014 que les premiers symptômes de l’insuffisance rénale se sont manifestés chez moi. Là en 2017, j’engage ma troisième année de dialyse. Je fais des séances d’hémodialyse deux fois par semaine. Pour la première fois, lorsqu’on m’a fait comprendre que j’étais victime de cette maladie, j’étais choqué. Je ne m’attendais pas à une aussi mauvaise nouvelle. J’ai été totalement renversé quand le néphrologue m’a annoncé que mes reins sont foutus. C’est ainsi que le spécialiste s’était exprimé. 

Quelles difficultés ont été les vôtres dès lors ?

C’est un peu plus tard avec l’analyse du néphrologue, ses conseils, ajoutés aux échanges avec d’autres malades  que j’ai appris à accepter la chose, à me faire à l’idée que oui, mes reins étaient foutus. Le plus difficile était désormais de me soumettre aux exigences du traitement qui n’est simplement pas médical mais davantage diététique. Depuis ce temps qu’on a constaté que je suis devenu insuffisant rénale, on m’a imposé un régime alimentaire et c’était d’abord ça le plus difficile à respecter. Il y a eu un certain nombre d’aliments que nous aimions bien consommer qui me sont désormais interdits parce que la maladie ne s’accommode pas avec ce genre d’aliments. Et donc il y a beaucoup de disciplines qu’il faut considérer. On nous a demandé d’être beaucoup plus rigoureux envers nous-mêmes. Moi qui étais un bon viveur, j’ai dû renoncer à mes activités de détente, de balade et autres. Moi qui étais un fin gourmet, j’ai dû renoncer à un certain nombre de plats. Je me suis résolu à suivre régulièrement mes séances d’hémodialyse. Même comme ce n’est pas du tout évident le suivi médical qui se passe deux fois par semaine cumulé aux examens médico-mensuels juste pour contrôler si on a une quantité de sang suffisant, si on est  à même de supporter les effets de la dialyse et savoir si les taux de calcium et autres sont contrôlés.

En d’autres mots, la croix est si lourde à porter pour un insuffisant rénal ?

 Ce sont des examens incontournables à tout insuffisant rénal et c’est ça qui est le plus difficile à affronter comme chemin de croix. Heureusement les pouvoirs publics, à travers l’hôpital général de Douala, ont dû revoir un peu le prix. Certains coûts des examens ont été revus à la baisse. C’est déjà ça que de savoir qu’on peut faire désormais faire la numeration à 5000 Fcfa, des examens de potassium à pas grande chose finalement. Cela a eu le don de nous soulager un tout petit peu. Mais ça ne veut pas dire que nous sommes logés définitivement à la bonne enseigne. Nous avons d’autres problèmes et quand je dis nous, ce sont les malades atteints de cette maladie. A chaque jour que Dieu fait, le nombre de personnes malades augmente. Il y a des machines qui tombent en panne ; il y a un certain nombre de commodités qui nous échappent. Ce sont là des problèmes qui ne sont pas toujours remédiés à temps et en urgence. Ce qui fait que, de temps à autre, on subit un peu le martyr. Au point que nos soins d’hémodialyse ne sont plus tout à fait respectés. Et les groupes dans lesquels tous les malades sont répartis, il y a comme une sorte de confusion. La population de malades gonfle. Avec l’insuffisance des machines, ce n’est pas évident qu’on maintienne le programme, le chronogramme même des activités tels que conçus par le service d’hémodialyse de l’hôpital général.

Qu’est-ce que vous coûte cette maladie depuis 2014 ?

En ce qui nous concerne, les activités professionnelles ont eu à prendre un sérieux coup. Durant tout ce stade, j’ai été le patron de la rédaction du journal « Le Messager » et donc pour moi, je ne pouvais plus être disponible à 100%. Car, suivre les séances d’hémodialyse deux fois par semaine à l’hôpital, sortant de là complètement lessivé ce n’était plus évident d’avoir des ressources physiques et même physiologiques pour assurer au niveau professionnel. Dieu merci, je me suis déchargé de ce fardeau. Ça m’a permis  d’avoir un peu plus de temps pour moi-même. Toutefois, je demeure journaliste et à la disposition de la rédaction et donc chaque jour qui passe est un miracle. J’en suis à la 3ème année et je me demande bien comment j’ai fait pour tenir jusqu’à présent. Nous travaillons dans un contexte où l’environnement économique en général est des plus difficiles, singulièrement au Messager qui cumule des mois d’arriérés de salaires. Dans ces conditions, ça devient on-ne-peut plus difficile. C’est donc une grâce que je sois encore debout. Dans ces conditions drastiques que nous impose la gestion du Messager ajouté aux contraintes sociales et autres, ce n’est pas du tout évident. Heureusement certaines personnes nous aident à garder le sourire.

Comment se passe la prise en charge ? Est-ce que cela se limite seulement aux séances d’hémodialyse ?

Avant même d’arriver aux séances d’hémodialyse, on ne vous prend pas directement en charge. Il y a un certain nombre de préalables que vous devez suivre. Notamment une opération chirurgicale qui est incontournable, celle-là qui consiste à vous faire placer une fistule au niveau du bras  pour vous permettre d’être connecté à chaque séance d’hémodialyse. Cette opération-là n’est pas donnée. Cela coûte une bagatelle de 200 000 Fcfa. Ce n’est pas donné au premier venu. Sans compter qu’à côté de cela, il y a d’autres frais que vous devez assumer. Avec nos conditions de journaliste, ce n’est pas toujours évident.

A votre avis, le Cameroun dispose-t-il d’assez de plateaux techniques ou de ressources humaines pour le suivi des malades ?

 Je dois quand même vous rappeler que sous d’autres cieux, les séances d’hémodialyse se passent 3 fois par semaine. Il y a un menu bien élaboré et une prise en charge sanitaire puis diététique. Tout cela est sous le contrôle des médecins qui veillent au grain contrairement à ce qui se passe sous nos latitudes ici. Ce n’est pas tout à fait ça. A cause des difficultés que l’hôpital Général rencontre, vraiment il faut acquérir de nouvelles machines. Il y a quand même une disproportion entre le nombre de malades et le nombre de machines qui ne sont pas nombreuses. Il y a un vrai fossé. Il faut aussi le personnel car les machines ne s’utilisent pas de façon automatique. Il faut de la ressource humaine pour assurer le suivi, la prise en charge des malades. Ce n’est pas l’apanage de l’hôpital Genéral mais partout ailleurs, à Yaoundé, à Buea, à Bamenda. Il y a ce problème d’insuffisance de matériels, de personnels qui ne sont pas parfois motivés mais qui, nuits et jours, veillent à ce que nous soyons pris en charge. Ce sont de jeunes gens, de jeunes femmes mariées pour certaines qui se retrouvent à l’hôpital six fois sur sept. Ce n’est pas du tout facile pour eux. Je me mets à leur place. Il faudrait bien que quelque chose soit fait pour que  ça change à ce niveau. (C’est vrai au niveau des coûts pas séance, des efforts incalculables sont faits par le gouvernement. Vous vous souvenez qu’avant même que je ne sois insuffisant rénal, un patient était obligé de débourser 75 000 Fcfa la séance autrefois. Aujourd’hui, on est parti de 75 000 Fcfa à 5000 Fcfa. Et jusque-là, ce n’est pas évident pour la majorité. Heureusement que Dieu est bon et pas mal de bonnes volontés nous encouragent à garder le sourire).

Vous dites avoir accepté votre état, mais comment vos proches ou votre entourage vivent-ils la situation ?

Au niveau du noyau familial, c’était un choc parce qu’au même moment où je suis rendu presque invalide, ma famille de son côté devrait être amenée à suivre Mr Njipou mon géniteur qui était aussi très malade. J’avais également une sœur aînée qui devait subir aussi dans la même tranche et pour la même période une opération chirurgicale dont les frais s’élevaient à presque 700 000 Fcfa. Donc, on a eu 3 cas sérieux qu’il fallait gérer. Le vieux sortait d’un Avc étant diabétique, étant hypertendu. Sa situation était deux fois plus préoccupante que la mienne. Par la grâce de Dieu, avec la mobilisation des uns et des autres, on a pu joindre nos efforts pour gérer tous ces cas.

Croyez-vous qu’on peut guérir de l’insuffisance rénale ? Est-ce que les séances d’hémodialyse viennent revitaliser les reins ?

Il existe la transplantation du rein. Mais là encore, il va falloir vous mettre dans un cas de suivi très médical pour éviter que l’ancien rein ne contamine l’autre. La transplantation implique aussi un traitement à la fois long et onéreux. Dieu merci, nous avons une bouée de sauvetage qui est l’hémodialyse. C’est ça qui est recommandé à tous les malades. En réalité, ces séances d’hémodialyse ne viennent pas pour revitaliser les reins mais ça vient juste nous permettre d’éliminer les déchets et les eaux souillées qui sont stockés dans le ventre et qui ne peuvent pas sortir. Elles visent à nous maintenir en vie en attendant l’heure H. C’est une grosse prouesse technologique le fait que les blancs aient pu mettre en place ce système qui nous permette d’éliminer les déchets. Il n’y a pas de guérison possible. Il n’y a que le bon Dieu qui puisse opérer des miracles. Rares sont les cas où les insuffisants rénaux déclarés comme tels ont pu recouvrir le plein fonctionnement de leurs reins. 

L’insuffisance rénale, est-ce une fatalité ?

Ce n’est pas non plus une fatalité. Quand vous êtes insuffisant rénal et que vous respectez le régime qu’on vous donne, tout en croyant en l’existence de Dieu, vous pourrez mourir d’autre chose que de la maladie rénale.

Un conseil à ceux-là qui n’ont pas une hygiène de vie adéquate et qui n’accordent pas assez d’importance à leur état de santé…

Je ne veux pas être un donneur de leçon. Quand vous allez à l’hôpital général par exemple, vous voyez des jeunes plus que moi, des enfants qui naissent avec un rein. Ce n’est point dû à une vie de débauche. Même s’il y en a qui boivent des millions d’hectolitres de bières, ils ne risquent pas forcément l’insuffisance rénale qui est un sort. Il y en a qui sont nés avec un seul rein et ont tous les problèmes du monde à éliminer les déchets. D’autres qui sont nés avec les reins qui ne fonctionnent pas dès la naissance et ainsi de suite. Ce sont des jeunes filles, des jeunes garçons moins âgés, moins de 8 ans, qui sont des élèves, etc. Même les personnes âgées qui cumulent à la fois diabète et autres, souffrent de l’insuffisance rénale. Je vous assure que lorsque vous êtes bien suivi, vous pouvez mourir d’autre chose que de l’insuffisance rénale. Ce n’est pas une fatalité. Toutefois, on ne triche pas avec cette maladie. Dès que vous passez outre les prescriptions médicales, ça vous rattrape. Absolument.

Entretien mené avec Linda Mbiapa

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