Convocation des états généraux du foncier au Cameroun : c’est l’appel lancé par l’AJUCAC
La Salle des Banquets de la Cathédrale des Apôtres Saints Pierre et Paul de Douala a servi de cadre à la Rentrée solennelle des juristes catholiques du Cameroun, marquée par une Conférence portant sur le thème principal : PROBLÈMES FONCIERS ET DOMANIAUX : Enjeux et perspectives.
La Salle a fait carton plein samedi 3 août 2024 au regard de la gravité des conflits liés au foncier au Cameroun. Députés, sénateurs, hommes politiques, et autres citoyens venus des dix régions du pays, ont été ravis d’écouter les exposés du brillant panel. Lequel était composé de : Monseigneur Samuel Kleda, Archevêque Métropolitain de Douala ; Maître Sandrine Soppo, Avocate et Présidente nationale de l’Ajucac ; Maître Bernard Misselel, Avocat; Mexan Silence Mounkama, Doctorant en histoire, Université de Yaoundé 1 ; Abbé Bernard Hona Tonye, Vicaire épiscopal, Aumônier de l’Ajucac ; Maître Albert Nguend Dime, Vice-président de l’Ajucac ; Jacqueline Eboto, Docteur en Droit des Affaires, Expert en immobilier ; Thomas Roger Ntomb, Vice-président à la Cour d’Appel du Littoral ; Maître Frédéric Ossogo, Avocat.
Une Conférence pédagogique modérée par le Professeur titulaire en sciences politiques et Droit public à l’IRIC Messanga Nyamnding Charlemagne Pascal.
Il a été question de faire le constat de la gestion foncière au Cameroun. Ainsi, à l’aune des données du Tribunal administratif du Littoral de l’année 2023, le contentieux foncier et domanial représente près de 75% des recours enregistrés. Près de 35% des décisions sont prononcées en faveur des particuliers en annulation ou en réhabilitation des titres fonciers.
Les principaux griefs procèdent de l’application des prescriptions de l’article 2 du Décret numéro 76/165 du 27 avril 1976 fixant les conditions d’obtention du titre foncier. « Ils émanent des fautes de l’administration d’une part lesquelles n’excluent d’autre part la fraude du bénéficiaire potentiel du titre foncier envisagé », a indiqué Thomas Roger Ntomb, Vice-président à la Cour d’Appel du Littoral lors de sa prise de parole.
Relativement aux fautes de l’administration, il cite : « les irrégularités dans la composition de la commission consultative, bornage fictif, double bornage, non purge des oppositions et des demandes d’inscription de droits, validation des actes constitutifs, translatifs et extinctifs de droits réels passés sous-seing privé, absence du décret d’homologation sur les actes de gestion du domaine privé de l’Etat (en violation de l’article 19 du Décret numéro 76/167 du 27 avril 1976 fixant les modalités de gestion du domaine privé de l’Etat) p.86, absence de visa du ministre en charge des affaires foncières pour les actes de cession au profit des Étrangers, superposition des titres fonciers, établissement des titres fonciers en totalité ou en partie sur une dépendance du domaine public, établissement des titres fonciers en totalité ou en partie sur une parcelle du domaine privé de l’Etat, d’une collectivité publique ou d’un organisme public, contournement de l’orthodoxie de la procédure légalement prévue, immatriculation en lieu et place de la concession ».
A cela, Jacqueline Eboto, Expert judiciaire ajoute : « pour obtenir un titre foncier au Cameroun, c’est un casse-tête. Il y a trop d’étapes et à chacune d’elles, il faut monnayer. Pour le Camerounais moyen, c’est très cher d’obtenir un titre foncier ».
Pour sa part, l’homme politique Elimbi Lobe fier d’un tel colloque, met en avant le problème de la gouvernance. Et Maître Bernard Misselel de déplorer le fait que « le foncier se porte très mal au Cameroun. L’Etat s’est arrogé le droit d’être propriétaire de toutes les terres qu’il confère à quelques protégés à sa convenance. Le droit a été écrit sur la base d’un héritage colonial et non sur les réalités sociétales. Si on avait un titre porté sur une participation sociale, on n’aurait pas eu autant de problèmes ».
Pistes de solutions
De l’état des lieux du foncier ainsi dressé, des questions et suggestions des participants, il en ressort comme l’indique Maître Albert Nguend Dime, Vice-président de l’Ajucac : « l’urgence des états généraux du foncier ». Un avis que soutient Son Excellence Monseigneur Samuel Kleda : « en plus des états généraux du foncier, la crainte de Dieu est une autre solution. Nous sommes appelés à opérer chaque jour le changement dans notre vie. Cette transformation intérieure dans notre vie est cruciale. Quand on parle de la mauvaise gouvernance, cela veut dire que quelque chose ne va pas. Il y a le vol, la tricherie…Si chacun s’engage à changer, nous pouvons changer notre société. Nous ferons tout pour que les propositions concrètes issues de ce colloque soient portées plus haut ».
Dans la même veine, Jacqueline Eboto insiste : « il faut que les mentalités changent. Nous avons vraiment besoin des états généraux du foncier dans notre pays. Il faut que les spécialistes viennent de tous les coins du Cameroun pour qu’on voie comment résoudre les problèmes fonciers ».
Autre suggestion : « il faut que le titre foncier soit pris comme un acte exécutoire qui confère à son propriétaire le droit de requérir aux officiers de police si quelqu’un occupe son titre. Cela va permettre de contourner le (trouble de jouissance) mis en exergue dans le Code pénal. L’Etat accorde une protection au propriétaire du titre foncier mais cette protection est nulle. Le titre foncier pris comme un acte exécutoire mettra fin aux conflits fonciers. Nous suggérons également que la société civile essaie d’être plus active dans le domaine foncier », soutient Maître Bernard Misselel.
L’information du système d’établissement du titre foncier fait partie des pistes de solutions proposées par les acteurs présents à la conférence.
Émue par la mobilisation du public, leur participation aux échanges, Maître Sandrine Soppo, Avocate et Présidente nationale de l’Ajucac va se lever : « je suis émue. Je suis satisfaite. Je suis touchée de voir l’expression de tous à l’endroit de l’Association des Juristes catholiques. Durant cinq heures d’horloge, nous avons échangé. Jamais, nous n’avons eu cette attraction. Merci infiniment pour votre présence, vos propositions. Nous ferons fusion avec les pouvoirs publics pour lutter contre les problèmes fonciers ».
Linda Mbenda