Pierre Alaka Alaka : “ la Loi de finances 2024 s’est essentiellement appesantie sur l’élargissement de l’assiette fiscale et elle a enfin touché les multinationales. Et la mesure sur le paiement des impôts afin d’obtenir un visa est une très bonne disposition ”

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Le Professeur titulaire, fiscaliste, conseil fiscal agréé CEMAC a été interrogé par La Sirène Infos sur la Loi de finances 2024. Une loi qu’il apprécie beaucoup car on a profité de la loi de finances pour changer des lois ordinaires.

Il faut désormais payer ses impôts pour obtenir un visa. Cette mesure est effective depuis le 1er janvier 2024 date d’entrée en vigueur de la Loi de Finances 2024, Professeur doit-on applaudir ou pas?

Cette disposition est une mesure de politique fiscale En matière de politique fiscale, il y a un certain nombre de réalités qu’il faut respecter. La réalité financière est là (cela va donner de l’argent à l’Etat); la réalité économique (ça ne gênera personne de payer ses impôts); la réalité sociale (cela fait qu’il n’y aura pas d’inégalités). C’est donc une mesure qui concerne tout le monde.

A la vérité, le Cameroun est entré dans la politique de l’élargissement de l’assiette fiscale depuis plusieurs années. Cette loi de finances 2024 est celle qui prouve qu’on est véritablement dans l’élargissement de l’assiette fiscale.

Et la soumission du visa à la présentation de l’attestation de concordance fiscale est une mesure louable de mon point de vue. C’est un élargissement incident.

Pourquoi?

C’est un élargissement incident parce que tous les étrangers au Cameroun sont concernés, ceux qui ont besoin d’un visa pour sortir sont concernés. Il y a nos frères qui viennent faire des affaires ici (parce que nous ne sommes pas racistes) et ils ferment leurs boutiques un matin, ils rentrent avec les devises, avec de l’argent qu’ils ont réussi à transférer par le principe de transférabilité libre du FCFA. Ils partent sans payer nos impôts après s’être enrichis chez nous. Désormais, avant de voyager il faut montrer patte blanche. C’est pour les étrangers.

Et les Camerounais?

Les Camerounais aussi ne peuvent pas faire des affaires sans payer d’impôts. Au regard de cette loi, il faudra désormais présenter l’attestation de conformité fiscale dans tous les Consulats et Ambassades où vous demandez le visa pour aller dans un pays étranger. Cela sera une pièce du dossier. Cela signifie simplement que le législateur camerounais veut saisir la matière imposable de manière directe et indirecte parce que quelqu’un qui voudra voyager va se mettre en règle.

Quel est le coût de cette attestation de conformité fiscale?

C’est gratuit. Ça se télécharge sur la plateforme de la Direction générale des impôts. Il faut être en règle simplement avec les impôts. Vous mettez votre numéro du contribuable et vous demandez cette attestation qui est valable pour 3 mois. Si vous êtes en règle, ça sort, si vous n’êtes pas en règle, ça met l’état de vos dettes.

Si c’est un étudiant qui veut voyager, comment ça va se passer?

Il est étudiant, il n’est pas contribuable. Il aura des papiers d’étudiant. Les étudiants sont d’office exonérés de l’impôt sur les revenus des personnes physiques. Pour les étudiants, ça ne posera aucun problème. Il suffira qu’il ait quand même un numéro d’identifiant unique, il met dans la plateforme et il génère son attestation de conformité fiscale.

Au finish, la Loi de finances 2024 s’est essentiellement appesantie sur l’élargissement de l’assiette fiscale et elle a enfin touché les multinationales. Elle a légiféré de manière approfondie sur les prix des transferts. De manière simple, les prix de transferts ce sont les transactions entre les membres d’un même groupe multinational:  les ventes, les achats, les services intra groupe obéissent à un prix qui n’obéit pas au principe de pleine concurrence et ce prix ne peut être pratiqué que dans le cadre d’un groupe multinational car ce n’est pas un prix du marché libre c-à-d un prix que pratiqueraient deux entreprises indépendantes dans leur relation d’affaire.

Les prix de transferts ont donc été véritablement légiférés cette année?

Exactement. Maintenant ce qu’il reste à mettre en place, c’est une Brigade spéciale de contrôle des prix de transferts. C’est de mettre en place une législation sur les contrôles fiscaux simultanés de sorte que si on met une multinationale en vérification de comptabilité, qu’on puisse la mettre également dans 2, 3, 4 pays en même temps qui sont concernés par les transactions avec le Cameroun. C’est cette formation qui reste à donner aux agents des impôts parce qu’ils n’ont pas fait cet enseignement à l’ENAM. Dans cette Loi de finances, il y a beaucoup de mesures qui ont véritablement été favorables à l’élargissement de l’assiette fiscale. 

Cette Loi est allée encore plus loin dans l’élargissement. Autrement dit?

Elle est allée chercher dans tous les secteurs générateurs de revenus pour le compte de l’État, des revenus publics qui ne sont pas des impôts. On dénombre au moins 26 groupes de cavaliers budgétaires c-à-d les modifications des lois ordinaires au travers de la loi de finance:  amendes de police en matière routière, les frais qu’on paie en matière forestière, en matière touristique, au niveau même de l’enseignement supérieur, etc. A tous les niveaux, cette loi de finances a rendu tout cela légal. C’est des cavaliers budgétaires parce qu’on a profité de la loi de finances pour changer des lois ordinaires. C’est une technique qui est très utilisée par les Latins et ça a marché.

Entretien mené à bâtons rompus avec Linda Mbiapa

 

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