Résultats probants obtenus par la CDHC suite aux allégations de violations des droits des travailleurs de SODICAM SA, gestionnaire des enseignes Casino et Super-U en République du Cameroun

De la dénonciation médiatique à la sanction : chronique d’une enquête menée par la CDHC, à travers son Antenne régionale pour le Littoral
À l’origine du scandale : une dénonciation syndicale relayée par le quotidien Le Messager dans sa parution du 26 mars 2025 (n° 8484), mettant en cause M. Gregory Christian Michel BRUN, de nationalité française, Directeur général de SODICAM S.A. Créée en 2010, SODICAM S.A. est la filiale camerounaise du groupe français Casino, exploitant les enseignes Super U et Casino à Douala et Yaoundé. Avec plus de 800 employés en 2025, l’entreprise représente un pilier économique dans le Littoral et le Centre du Cameroun.
Le Messager dépeint dans un article de presse à charge un système de management qualifié d’« esclavagiste » par les syndicats du secteur du commerce, impliquant des licenciements abusifs, des atteintes à la dignité des travailleurs et des violations massives du Code du travail. Saisi de ces faits, le Président de la Commission des Droits de l’homme du Cameroun (CDHC), Pr James MOUANGUE KOBILA, agissant au nom du mandat de protection des droits fondamentaux reconnus à toute personne vivant sur le territoire national, a instruit l’Antenne régionale de la CDHC pour le Littoral d’ouvrir une enquête visant à vérifier la véracité des faits rapportés par ce quotidien.
Usant de sa faculté d’autosaisine, en vertu de l’article 6 de la loi n° 2019/014 du 19 juillet 2019 portant création, organisation et fonctionnement de la CDHC, des investigations ont été menées entre avril et mai 2025 par l’Antenne régionale de la CDHC pour le Littoral. En effet, tout commence le mercredi 2 avril 2025, avec l’audition du Président du Syndicat départemental des Employés du Commerce du Wouri (SYNEDECOW), également ancien salarié de SODICAM S.A., dans les locaux de l’Antenne régionale à Douala. Lors de son audition sous procès-verbal, l’intéressé a fait état de la situation qu’il qualifie de « dégradation alarmante des conditions de travail au sein des enseignes commerciales relevant de SODICAM », depuis la nomination de M. Grégory BRUN à la tête de SODICAM S.A. en 2022. Au cours de l’audition, le syndicaliste a confirmé, avec preuves matérielles à l’appui, l’ensemble des allégations rapportées par le journal *Le Messager*. Il a notamment dénoncé une vague de licenciements qu’il qualifie d’« abusifs et discriminatoires », soulignant que ces décisions viseraient quasi exclusivement des travailleurs de nationalité camerounaise, en violation de la loi fondamentale n° 96/06 du 18 janvier 1996, portant révision de la Constitution du 2 juin 1972, ainsi que de la loi n° 92/007 du 14 août 1992 portant Code du travail. Il a fait état de plus de cinquante cas d’agents licenciés au sein de cette entreprise, dont beaucoup ont été contraints à la démission ou mis en congé technique sans fondement objectif. Le témoin a également évoqué l’instauration, au sein des supermarchés Casino et Super U, d’un climat de travail qualifié de « toxique », marqué par la peur, les humiliations verbales, la surveillance informelle du personnel, ainsi que des restrictions abusives des droits syndicaux. À cet effet, il a remis à l’Antenne une liste nominative de 51 employés licenciés entre 2022 et 2024, pour lesquels il sollicite une enquête approfondie et des mesures tendant à leur juste indemnisation. Il a par ailleurs déclaré que l’attitude de la direction générale s’est accompagnée d’une réduction progressive des droits sociaux acquis (baisse de salaires, suppressions de primes, etc.), de mesures de répression à l’encontre des représentants du personnel, et de pratiques managériales attentatoires à la dignité humaine, caractérisées par des insultes souvent à connotation raciste à l’endroit de certains membres du personnel. Enfin, il a mis en garde contre un risque de mobilisation sociale imminente (grève), appelant les pouvoirs publics à agir promptement afin de restaurer le respect des droits fondamentaux des travailleurs mis en péril dans cette entreprise.
Il ressort de l’examen des pièces à conviction fournies en marge de l’audition menée que plusieurs saisines émanant du SYNEDECOW ont été adressées aux autorités compétentes entre novembre 2024 et mars 2025, notamment :
– la lettre à la Direction Générale de SODICAM S.A., datée du 12 novembre 2024, portant demande d’arrêt des licenciements jugés fantaisistes ;
– la lettre adressée au Préfet du Wouri le 19 décembre 2024 aux fins de dénonciation de plus de 50 licenciements « irréguliers » et d’un climat de terreur entretenu par le Directeur général de SODICAM S.A. ;
– la lettre au Préfet du Wouri en date du 16 janvier 2025 sollicitant la reconduite à la frontière de M. Grégory BRUN ;
– la saisine du Ministre de l’Emploi et de la Formation professionnelle le 10 mars 2025 d’une plainte pour licenciements abusifs et méthodes esclavagistes ;
– la saisine du Ministre du Travail et de la Sécurité sociale le 13 février 2025 au titre de recours hiérarchique ;
– la saisine du Président de la République du Cameroun le 13 février 2025 d’une demande de sursis à visa du contrat de travail de M. BRUN.
Dans ses tentatives de contact avec la direction de SODICAM à Douala, l’équipe d’enquête de l’Antenne régionale de la CDHC pour le Littoral s’est rendue successivement le vendredi 4 avril 2025, au siège de Super U Bali, puis à celui de Casino Bonapriso à Douala, dans le but d’entrer en contact avec les responsables. À Super U Bali, les agents enquêteurs de l’Antenne régionale de la CDHC pour le Littoral ont été éconduits, les responsables de site ayant opposé un refus catégorique de tout entretien. À Casino Bonapriso, l’équipe a toutefois pu s’entretenir de manière confidentielle avec un délégué du personnel en poste, qui a accepté de témoigner sous anonymat par crainte de représailles. Celui-ci a confirmé de manière concordante les éléments rapportés dans la presse et par le SYNEDECOW. Il a évoqué une atmosphère professionnelle de plus en plus délétère, nourrie par des pratiques de gestion autoritaires, des pressions constantes, et un recours abusif à des licenciements non motivés. Il estime à environ soixante (60) le nombre d’agents ayant perdu leur emploi au sein de la structure depuis 2022. Selon ses dires, les décisions de licenciement ne respecteraient ni les procédures légales, ni les garanties prévues par la convention collective applicable dans le secteur commerce. Il a dénoncé un usage détourné de la qualification de « faute lourde » pour justifier la rupture immédiate des contrats, souvent sans préavis ni indemnité, et sans procédure contradictoire. Il a également signalé que des mesures d’intimidation, de surveillance indirecte (notamment par l’épouse du Directeur général) et d’humiliation publique seraient fréquemment observées. Il a cité le cas de plusieurs anciens employés, parmi lesquels : NGOL FUL Lawrence, EMBOLO Bertrand, MAKEK Daniel, NDOMIE Stéphanie, NGASSI Xavier, et d’autres, victimes selon lui de mesures arbitraires d’humiliation et de licenciements sommaires. Enfin, il a alerté sur la suppression de certains acquis sociaux (repos dominical, soutien scolaire aux enfants d’agents) et sur la substitution progressive des anciens contrats par des statuts précaires sans couverture sociale adéquate.
Poursuivant ses investigations à Super U Bonamoussadi, l’équipe d’enquête de l’Antenne régionale de la CDHC pour le Littoral a pu rencontrer, de manière informelle et en dehors de son lieu de travail, un délégué du personnel affecté à l’enseigne Super U Bonamoussadi. L’entretien s’est déroulé le jeudi 10 avril 2025 dans un lieu neutre, à la demande de l’intéressé qui redoutait des représailles professionnelles et a requis l’anonymat. Ce dernier a corroboré les accusations précédemment recueillies et insisté sur l’intensification du harcèlement managérial à l’égard des salariés. Il a notamment dénoncé la réduction volontaire des effectifs sans compensation organisationnelle, entraînant une surcharge de travail et des conditions de plus en plus pénibles. Il a estimé à quarante-neuf (49) le nombre d’agents licenciés à Bonamoussadi sur la même période, en précisant que plusieurs recours adressés à l’Inspection du travail étaient restés sans suite. Il a également signalé la remise en cause d’avantages sociaux essentiels, tels que les appuis scolaires, les congés parentaux et les indemnités de transport. Enfin, il a rapporté plusieurs cas d’atteintes graves à la dignité des travailleurs, évoquant un climat généralisé de stress, de repli et d’autocensure, qui serait aujourd’hui vécu comme une forme de violence morale institutionnalisée.
Tirant les conséquences des auditions menées et des preuves matérielles consultées lors de ses investigations, l’Antenne régionale de la CDHC pour le Littoral a confirmé l’existence d’un climat de terreur institutionnalisé à SODICAM S.A., avec 61 licenciements arbitraires documentés depuis 2022, 12 procédures disciplinaires fictives et une absence d’indemnités de licenciement versées dans 70 % des cas recensés. Un cas emblématique a été relevé, celui de M. FUL LAWRENCE, ancien Directeur de magasin au sein de l’entreprise, licencié après 15 ans de service sans préavis ni motivation. Son dossier illustre le modus operandi dénoncé par un membre du personnel auditionné, à savoir la tendance du Directeur général à « supprimer des postes stratégiques sous prétexte de restructuration pour évincer des collaborateurs gênants ».
En somme, l’Antenne régionale de la CDHC pour le Littoral a relevé des « irrégularités graves » dans les surfaces commerciales de Casino et Super-U à Douala, notamment des atteintes aux droits économiques et sociaux, à la liberté syndicale et au droit au travail dans des conditions dignes, particulièrement graves, incluant :
– des actes de maltraitance psychologique et de mépris à l’égard des travailleurs camerounais ;
– des licenciements jugés abusifs, sans respect de la réglementation en vigueur au Cameroun ;
– un climat de peur et de harcèlement instauré par la direction générale.
Ces constats, régulièrement portés à l’attention des autorités compétentes, ont sans nul doute contribué au non-renouvellement du contrat de travail de M. Gregory Christian Michel BRUN par correspondance n° 000180/L/MINEFOP/SG/DRMO/SDRPMO du 23 avril 2025, du ministre de l’Emploi et de la Formation professionnelle, M. Issa TCHIROMA BAKARY. Les dénonciations du quotidien Le Messager et l’implication de la CDHC dans la mise en lumière de cette affaire illustrent la capacité de ces acteurs à ne ménager aucun effort pour protéger les Droits de l’homme mis en péril dans la société, y compris au sein des entreprises.
Correspondance particulière P.B.A.